(délai 31/7) this is a mascarade - griffin

Orange. the day is today
Décor vacillant devant ses yeux qui n’arrivent pas à trouver de point fixe. Comme s’ils étaient aussi imbibés d’alcool que la personne à travers qui ils voyaient. Aucun détail ne semblait vouloir rester. Il avait beau se concentrer, tout semblait fuir dans ses angles-morts. Intangibles, insaisissables. De frustration, il tenta d’avancer un pied devant l’autre, mais il était coincé. Rien ne le retenait physiquement, aucun obstacle, aucune chaîne, mais ses pieds refusaient de bouger, de lui obéir. L’endroit lui semblait tout autant familier qu’inconnu. Il était déjà venu ici. Quand? Il ne saurait dire, et sa mémoire ne semblait pas vouloir lui faire cadeau de ce détail. Frustré, il tente à nouveau de se défaire de cette emprise invisible mais rien à faire, rien ne lui permettrait d’avancer. Aucun objet à saisir, ni la force nécessaire de combattre ce qui l’empêchait de bouger. Puis il le vit, au loin, comme si les murs autour n’étaient plus nécessaires à bloquer sa vision. Une petite silhouette s’avançait vers lui, et encore une fois ce sentiment de familiarité l’envahit, comme s’il savait, sans réellement pouvoir mettre le doigt dessus. Il remarqua son t-shirt orange en premier. Ce détail revenait à chaque fois qu’il le voyait, car il détestait cette couleur. Ce qui était d’autant plus étrange, car il savait qu’à force de s’approcher, le visage de la silhouette se révèlerait être le sien…avec plusieurs années en moins, voire quelques décennies. Après quelques secondes d’attente interminable, le petit s’arrêta face à l’adulte, les deux se regardant sans s’adresser un mot. Lorsque Griffin tenta d’ouvrir la bouche, aucun son n’en sortit, et la silhouette, sa silhouette plus jeune sembla devenir aussi flou que la pièce autour d’eux. Défiant les règles de la physique imposée, il leva quand même un bras dans le but de l'attraper…Ou plutôt de s’attraper lui-même, mais lorsque leurs doigts entrèrent en contact, un violent bruit, comme un coup de feu, le tira de son sommeil déjà agité. En sueur, il mit quelques secondes à s’habituer à la pénombre de sa chambre, avant de constater que sa lampe fut la première victime de ses agitations nocturnes.



Green. somewhere thirty-three years ago
Les vitraux filtraient le soleil trop intense du mois de juin. Il était jeune, mais pas assez pour se rendre compte que cette mascarade ne lui convenait plus, qu’il n’était pas à sa place. Le gamin avait prétexter un mal de ventre, puis s’était empressé de se glisser hors des bancs de l’Église pour y retrouver son ami, auteur d’un mensonge du même acabit pour fuir la vigilance de ses parents. Affublé d’un costume vert trop petit pour lui, Griffin ne s’était pas privé de se moquer de son binôme avant leur évasion du lieu saint. Pas très loin de l'église, de l’autre côté d’un ruisseau asséché, se trouvait une petite cabane abandonnée, du moins de jour. La nuit c’était autre chose, et les vestiges de bouteilles d’alcool éclatées pouvaient témoigner que l’endroit était encore utile pour quelques personnes. Mais cela n'avait pas d’importance pour eux deux. La cabane avait été témoin de bien d’autres scènes dont les garçons étaient les principaux acteurs. Leurs souffles raccourcis par la course et les éclats de rires, ils étaient devenus bien silencieux au moment de passer le pas de la porte, comme si l’endroit était tout aussi digne de murmure que l’endroit qu’ils venaient de quitter. Habités par la crainte d’être découvert, par le danger de ce qu’ils avaient entrepris depuis leur première rencontre, les lèvres des deux garçons se scellaient dans un baiser maladroit, avant de se rompre par quelques rires plus discrets, plus doux. La texture rêche du costume du garçon n’empêcha pas Griffin d’y poser les mains afin de le garder contre lui le temps de cette courte heure qui fut probablement la dernière qu’ils partagèrent.


Blue. somewhere forty years ago
D’une curiosité sans faille, le gamin aimait explorer son environnement. Depuis plus d’un an, il avait cru avoir explorer les moindres recoins de la maison de ses grands-parents, de la cave humide jusqu’au grenier poussiéreux. On l’avait réprimandé aussi, de traîner dans les endroits où il ne devait pas, de revenir sale, couvert de matière soit visqueuse, soit inlavable. Sa pauvre grand-mère passait souvent ses dimanches après-midi à faire la lessive du bambin explorateur, nettoyant avec fermeté la moindre tache pouvant résister à un tour de machine. Mais la culpabilité n’était pas assez forte pour l’empêcher d’explorer un peu plus, surtout qu’il avait en tête depuis quelques semaines de retrouver cette fameuse boîte qu’il n’avait pas pu ouvrir lors de sa découverte. Il avait ouvert toutes les armoires se trouvant sur son chemin, tous les pots, coffres, tiroirs qu’il avait dû parfois tirer de toutes ses forces pour en voir la valeur du contenu. Mais cette toute simple boîte de carton n’avait pas eu le temps d’assouvir sa curiosité. On l’avait retrouvé avant, réprimandé un peu, puis il avait fait mine d’oublier l’objet de ses désirs.

Mais elle avait été déplacée. Cachée probablement, lorsqu’on avait constaté que le jeune bambin s’y intéressait.

somewhere thirty years ago
Mais il est tombé dessus. Ou elle lui était tombée dessus comme par hasard, alors qu’on l’avait envoyée chercher autre chose dans le placard de sa grand-mère. Elle n’était plus avec eux, depuis quelques années. Le trio familial qu’ils formaient était diminué, amputé d’un membre important, d’une femme chaleureuse qu’il aura eu au moins le plaisir de connaître durant quelques années. Papy lui avait demandé de trouver cette photo…’’Tu sais, celle où nous étions partie voir le Grand Canyon en voiture?’’ Et comme l’endroit était difficile d’accès, et surtout difficile émotionnellement pour papy, il avait décidé de fouiller par lui-même. Et la boîte, pas qu’elle était énorme, mais tout juste pour l'assommer un peu, était réapparue alors qu’il avait abandonné ses recherches. Son contenu se vida sur le sol de la chambre d’amis et ce fut un éclat bleu, satiné qui attira son regard en premier. Le tissu, lorsqu’il le prit du bout des doigts, se révéla être une robe. Classique, longue, arrêtant presque aux chevilles de celle qui devait la porter. Elle laissait les épaules libres, couvrant à partir du buste. Une envie soudaine lui traversa l’esprit, envie qu’il tenta de réprimer sans grand succès. Aucun bruit ne provenait du salon, sauf celui lointain d’une télé crachotant quelques répliques humoristiques. Ses propres vêtements tombèrent sur le sol, puis le satin vint ravir sa peau trop habituée à porter des tissus plus robustes. La robe lui arriva à mi-mollet, un peu plus courte sur sa stature, puis sembla plus serrée au niveau du buste, avec raison ; elle n’était pas faite pour sa silhouette. Timidement, l’adolescent confronte son propre reflet dans la glace, avant d'apercevoir celui horrifié de son papy se tenant dans le cadre de la porte. Il ne revit plus jamais cette robe bleue. Ni les photos de sa mère portant cette même robe.



Black. somewhere twenty-four years ago
Les endroits magiques se font rares en ce monde, et il en avait conscience. Là où les gens ne voyaient qu’un vieil établissement en décrépitude, lui, il y voyait un endroit enchanteur. Une promesse qu’il pourrait peut-être être un peu plus qu’un garçon parfait. Un signe qu’il devrait peut-être prendre ce tournant effrayant, cette voie qui menaçait soit de le faire sombrer dans un trou noir, soi de l’élever au plus haut. Lorsqu’il osa enfin y mettre le pied, il proposa de s’occuper de l’entretien de l’endroit. Faute de budget, le propriétaire refuse d’abord, mais sous l'insistance de Griffin, il finit par accepter sa présence bénévolement. Tout juste dans la vingtaine, il tenta de redonner un peu de prestige à l’endroit où les planches étaient maintenant rarement utilisées, grâce aux quelques compétences que lui apprit son papy. Il profite de sa présence accru sur les lieux pour assister en catimini aux représentations. Prétextant souvent de devoir s’assurer de la sécurité de l’endroit, ou de vérifier que les réparations tiennent bien, il réussit à poser les yeux sur les artistes qui vont et viennent, qui ne restent pas, qui abandonnent l’endroit. Avec les déceptions que lui causent les départs hâtifs des artistes, le jeune homme redouble d’effort afin de rendre l’endroit plus attrayant, malgré le manque d’intérêt flagrant d’un propriétaire désabusé. Les quelques employés restants ne lui facilitent en rien la tâche, des vieux de la vieille qui semblent vouloir abattre la moindre étincelle d’espoir de faire revivre l’endroit. Il se retrouve souvent seul à taper du marteau, à réparer les tuyaux qui fuient, à servir des verres au propriétaire qui le regarde faire d’un œil de plus en plus vitreux à force que les verres s’accumulent sur le zinc. Il ne pouvait pas prétendre avoir du respect pour l’homme, à cette époque en tout cas. Il avait pitié…De son état, de sa façon de penser, de sa noirceur qu’il tenta d’éviter. Jamais il ne se serait douter être assis, vingt ans plus tard, sur le même tabouret en alignant la même quantité de verre sur le même zinc re-verni depuis.

Pink. somewhere twenty years ago
Toute noirceur pouvait parfois être accompagnée de son rayon de lumière. Après quelques années de bons et loyaux services gratuits, on avait écrit son prénom et son nom au bout d’une feuille, accompagnée d’une signature tremblante. On lui avait donné le cabaret. Il se souvint avoir fixé cette feuille pendant des heures, jusqu’à ce qu’une voix douce le ramène à la réalité. C’était Alice, la nouvelle. L’agaçante nouvelle. Une jeune ado en mal de vivre autre chose que sa pauvre vie. Il l’avait détestée au début. Elle lui tombait sur le système, beaucoup trop lumineuse, menaçante. Trop. Mais en réalité, il avait l’impression d’être devant sa copie conforme. Un opposé beaucoup trop semblable à ce qu’il vivait, un partage qu’il n’était pas près de s’avouer à lui-même, malgré l’ouverture de la jeune femme. Si il l’avait hait, ce sentiment passa rapidement à de l’indifférence, pour évoluer vers une curiosité, un intérêt qu’il, encore une fois, ne voudra pas s’avouer avant longtemps. Elle était le reflet de ce qu’il aurait voulu être. Créative, colorée, elle savait créer des choses à partir de rien, alors qu’il n’était bon qu’à réparer ce qui n’allait plus. Jamais il n’aurait pu prétendre avoir le dixième de son imagination, de son talent, et l’envie le rendait probablement des plus désagréable envers la jeune femme qui tenta de faire sa place dans un endroit déjà en perdition. Elle était rose, pour lui. Une couleur qu’il ne supportait pas, tout comme le orange. Toute déviation du plus pur des rouges semblait le rendre mal, insatisfait. Une couleur parfaite ne devait pas être altérée, réduite, changée à son plus pâle spectre. Intouchable, le rouge devait rester rouge, tout comme le tube de rouge à lèvre qu’elle trainait dans son sac à main. Jamais il ne l’avait vu arborer cette couleur, et pourtant, elle la possédait. Probablement trop rouge pour elle, trop pure pour qu’elle ose même l’appliquer sur ses lèvres. Il avait fini par le dérober.


Red. the day is today
Impossible de se rendormir. Il décida de se lever malgré la courte nuit qu’il avait passée. Il chercha rapidement de quoi réparer la lampe, une colle forte, quelque chose. Il fouilla quelques tiroirs, toujours dans la noirceur que la lampe ne pouvait plus dissiper. Il perdit patience, sortit carrément le tiroir de la commode avant de le poser brutalement sur son lit qui fit rebondir la plupart des petits objets qui s’y trouvaient. Son regard fut immédiatement attiré par un objet dont il avait oublié l’existence. Sous forme d’un petit tube, il le prit, le retourna, l’observa tandis que le souvenir de ce vol mineur revint dans sa mémoire. Il oublia complètement la colle, la lampe, la noirceur. Empreint d’une pulsion qu’il ne chercha pas à taire, il se dirigea vers le miroir de la salle de bain, dont il n’alluma pas la lumière. Sa main tremblante amena le rouge vers ses lèvres, rouge qu’il applique maladroitement. Il ne sait pas combien de temps il est resté à fixer son reflet, mais lorsqu’il le quitta, ses lèvres n’étaient plus rouges, et le soleil était haut dans le ciel.