everything you could've messed up, you did. - no

Chorégraphie Syncopée 4 septembre 1991
Elle avait quatre ans lorsqu’on lui enfila sa première paire de patins. Elle savait de quoi il s’agissait, mais elle n’avait jamais eu l’occasion de prouver qu’elle pouvait être aussi talentueuse que lui. Qu’elle valait tout autant. Il avait commencé un an plus tôt qu’elle. Ses jambes à peine habituées à aller l’une devant l’autre, on l’avait affublé de ces chaussures à lames et il s’était élancé sur la surface lisse, froide et cruelle. Elle l’avait entendu pleurer aussi. Souvent. Cependant, plus les cours se faisaient nombreux, moins ses pleurs ne venaient résonner contre les paroies de la patinoire. Encore heureux, c’était aussi insupportable à entendre qu’à regarder. L’année de retard sur son partenaire de glace ne parut que pendant quelques mois. Puis elle vint à le surpasser avant même d’avoir terminé sa première année, donnant naissance à une compétition malsaine entre les deux gamins dès qu’ils posaient le pied en dehors de l’anneau de glace. Car sur la surface lisse, ils étaient partenaires. Coéquipiers en laquelle la confiance ne devait faillir.

Coup Croisé 8 janvier 1995
Une révérence et elle avait entendu l’explosion de voix dans les gradins. Elle les aurait reconnus même si elle n’avait pas vu leurs petites têtes dépasser des sièges. Les deux plus grands du groupe tenaient une pancarte aux couleurs criardes, tandis que les deux autres applaudissaient et criaient comme s’ils étaient 100. La note n’avait pas encore été donnée, mais elle avait tout gagné juste en les sachant présents. Les gamins continuaient leur boucan tandis que les adultes soupiraient et tentaient de les faire taire, mais rien ne pouvait éteindre leur fougue. Elle se redressa de sa révérence pour poser des yeux brillants de larmes sur ses amis, puis son regard se porta sur son géniteur assis plus loin. Le contraste la saisit, son sourire s'évanouit, puis elle quitte la glace, la peur au ventre.

Saut de valse 1 septembre 2000
’OTRA VEZ’’ Tonitruante, cette voix avait le don de la glacer sur place, mais après autant de répétitions, elle l’écoutait, tel un zombie qui n’avait plus de libre arbitre. Elle était épuisée, elle n’avait pas dormi, elle n’avait pas mangé depuis…Elle ne savait plus. En levant les yeux après son saut raté, elle constata que le soleil était en train de se lever. Elle avait perdu la notion du temps, des heures et des minutes, mais la date, elle ne l’oubliait pas. C’était le jour de la rentrée scolaire. Pas n’importe quelle. C’était celle de leur début au lycée, un passage important qu’ils avaient révisé encore et encore. Ils s’étaient fait des scénarios, elle et Louise avaient même préparer leur tenues pour cette rentrée. Elles en avaient d’ailleurs profité pour relooker les garçons, histoire qu’ils soient aussi cools qu’elles…Mais au lieu de se retrouver chez Louise, elle était là. Elle n’osait pas lever les yeux vers son père. Les jambes fatiguées, elle fait un tour de glace avant de se ressaisir. Elle se propulse, saute, et tente son demi-tour mais atterrit brutalement sur la glace, son poignet gauche craquant sinistrement contre.

‘’Otra. Vez.’’

Levée en étoile 15 avril 2007
‘’Norah Moreno et Manuel Moreno’’
Le duo s’élança sur la glace, fit un tour le temps de saluer, de laisser la foule admirer sa robe dorée, brillante, tel un trophée qui déambulait devant les yeux sévères de son bourreau. Elle devait gagner. Enfin, ils devaient gagner, mais la pression était sur elle uniquement, elle le savait. Manuel pouvait se permettre de manger, de respirer, de vivre, il était doué. Mais elle, c' était son projet. C’était sa poupée de glace façonnée à la hauteur de son ambition, c’était une gagnante, une donnée hasardeuse qui devait lui faire gagner ses paris, ses manigances. Le tour de glace effectué, elle se retrouva aveuglé par quelque flash avant de voir son partenaire apparaître devant elle. Il était confiant, elle l’était tout autant. Ils patinaient ensemble depuis si longtemps. Il n’y avait aucune raison que cela ne se passe pas parfaitement. La musique marqua le début de leur valse sur glace, une version plus douce de ‘’you’re the one that i want’’ de sa comédie musicale préférée. Pas qu’elle était une fan particulièrement de comédie musicale en général, mais celle-ci l’avait marquée. Les pyjamas partys avec Louise et elle chantant les répliques de chaque chanson lui reviennent en mémoire tandis que la chorégraphie les mène de mouvement en mouvement. Le levé en étoile, qu’ils ont fait des centaines voir des milliers de fois, puis c’est le noir total…

Elle perd la carte, la vie la perd tandis que des flashs se succèdent à des visages. Aucun son ne parvient à atteindre ses oreilles, comme si on lui avait retiré l’audition. Le froid marquant de la glace s’atténue et est remplacé par quelque chose de chaud, rassurant mais aussi gluant, puis elle ferme les yeux.

Lutz 05 octobre 2009
‘’Hi, my name is Norah and it’s my first day sober.’’
Des applaudissements discrets, polis, tandis qu’elle évite soigneusement les regards de chacune des personnes assises autour du cercle de parole. Elle commençait à avoir l’habitude, mais elle était incapable de les regarder dans les yeux en sachant que ses premiers jours, elle en aurait, elle en avait eu. Ce n’était pas son premier rodéo, ce n’était pas son dernier et elle le savait. Elle joue nerveusement avec le bas de son t-shirt. Dans ce genre d’endroit, elle était normale, inconnue, mais ça lui donnait un répit de l’ambiance malsaine de la maison. Manuel était hors de contrôle, il vrillait maintenant qu’il était le seul sous le feu des projecteurs. Lamia avait quitté la villa pour continuer ses études en médecine, métier prestigieux quand votre père n’était pas un parieur sportif invétéré. Le regard légèrement flou, elle ne remarque pas tout de suite que l’on s’adresse à elle. Ils veulent entendre son histoire. encore. À force, elle avait fini par en inventer de nouvelles, se lassant de raconter la même chose. Mais cette fois, elle avait envie de dire les vraies choses. ‘’Ok..Ehm. I’m Norah and this is not my first day sober. Actually, i’m not even sober at all at this moment.’’ Regards réprobateurs, certains amusés. Mais elle ne les perçoit pas. Immédiatement retirée du cercle, elle est ramenée à sa chambre ou elle pourra profiter du silence et de ses propres histoires.

Patinage libre 26 février 2012
Mélanges, cocktails, abus. Qu’avaient-elles pris exactement? Elle ne se souvenait plus. Un moment elles étaient en train de se préparer, un autre elles étaient en difficulté avec la robe de Louise, puis d’un coup, elle s’était téléportée dans la salle de la remise des oscars. La cérémonie semblait se dérouler d’une lenteur extraordinaire devant ses yeux. Elle serrait la main de sa meilleure amie dans la sienne, puis un nom fut prononcé, un familier. Une explosion d'applaudissements lui creva les tympans tandis que sa tête enfumée explosait sous les bruits et exclamations. Sa main se retrouva orpheline tandis que la silhouette de la blonde avançait vers l’échafaud. Elle eut un vague souvenir de sa propre ascension vers la fin, une nostalgie vint voiler son regard dont la vue forcait à la normalité. Elle ne vit pas à quel point elle était mal. Ce qu’elle voyait c’était la reine qu’elle était, la dorure de la statuette reflétant des années de travail. Elle méritait le monde. Et le monde ne la méritait pas…Pas même Norah dont le feu brûlant semblait avoir atteint le cœur et les poumons de celle qui ne la quitterait jamais.

Salchow somewhere in 2013
La notion du temps avait toujours été quelque chose de difficile pour elle. C’était à la fois une variante qui était soit trop rapide, soit trop lente. Cette nuit-là, elle n’était pas seule. Comme à son habitude, le duo féminin était sorti. Comme d’habitude, Caleb et Cameron jouaient les chaperons. Comme d’habitude, elle avait réussi à s’enfuir, à se cacher assez longtemps pour arriver à ses fins. Le cerveau ramolli par l’alcool et les substances, elle avait fini dans l’appartement d’un homme de deux fois son âge, voir plus. Il avait les tempes grisonnantes, une eau de cologne extrêmement luxueuse qui lui fit tourner la tête encore plus, si possible, et probablement beaucoup d’argent, vu comment il avait réussi à appâter. Elle ne manquait pas d’argent. Mais ce n’était pas *son* argent. Bonne à rien, elle s'était trouvé un moyen facile et agréable de gagner quelques dollars. Elle avait essayé autrement, mais contrairement à Cam et Lou, elle n’avait aucun talent d’acting. Elle était trop vraie, trop franche pour prétendre jouer un personnage. Elle aimait, détestait, tombait sans masque, sans quiproquo. ‘’Tell me…Are you the love of my life?’’ Qu’elle lança à cet homme qui devait avoir l’âge de son père.

Spirale de la mort somewhere 2014
Elle n’était plus le personnage principal de sa vie. En fait, elle ne l’avait jamais vraiment été, mais elle ne remarquait pas. Personne ne remarquait. ‘’They all gone…’’ Cette nouvelle l'affecte étrangement, mais tellement anesthésiée par n’importe quoi, elle n’avait pas les réactions aussi faciles que sa binôme. ‘’How are you a mom now?’’ Elle savait. Il était parti, comme son désagréable cousin. Elle eut une sensation désagréable en imaginant que Cameron serait le prochain…Ou peut-être elle-même tellement sa déchéance la faisait flirter avec la mort. Elle regarda le nouveau-né dormir paisiblement, évitant de regarder la nouvelle mère. Il était si petit…Était-elle aussi minuscule lorsque sa mère l’avait laissée en plein hiver devant une porte close? Était-ce à ce moment précis que son avenir s’était cassé? ‘’I should leave.’’ C’était insupportable. Elle n’avait sans doute pas compris que Norah avait l’intention de partir de la ville, et non juste de chez elle. Elle ne savait pas combien de temps elle serait ailleurs, mais elle voulait partir avant qu’il décide de le faire.
‘’I’ll be back. I promise.’’